J’ai vécu mes vingt premières années en Tunisie où j’ai suivi ma scolarité chez des religieuses. J’étais toujours première en catéchisme. Je faisais mien aussi l’appel des musulmans à la prière, cinq fois par jour. Je me confessais souvent de ne pas prier assez, mais le prêtre me renvoyait toujours à l’action.
Plus tard, j’ai rencontré un maître spirituel hindou. Il mettait la prière au centre de la vie. Il m’a appris à unir action et contemplation, et à voir Dieu en toutes choses. Mais je voulais « Dieu en direct », je voulais qu’il vienne me dire avec des mots d’homme qui est Dieu et qui est l’homme. C’était vital.
Avec mon mari, nous nous sommes réconciliés
À Noël 1989, alors séparée de mon mari, je suis allée à la messe. J’ai entendu : « Dieu s’est fait homme. » J’avais la réponse à mon désir. Je me suis alors rendu compte que je n’avais rien compris au mystère de l’Incarnation : j’avais fait du Christ un homme divinisé, alors qu’il est pleinement Dieu et pleinement homme. C’est inimaginable et cela change tout. Quelques mois après je suis allée faire une retraite. C’était l’anniversaire de notre mariage. J’ai écrit une longue lettre à mon mari en lui demandant pardon bien que, de l’extérieur, il semblait avoir tous les torts. Il ne m’a pas répondu, mais quelque temps après, il m’a demandé si j’acceptais de reprendre la vie commune.
J’ai passé un mois entre la vie et la mort. Dieu était là, présent.
En 1992, atteinte d’une leucémie, j’ai passé un mois entre la vie et la mort. Le seul souvenir que je garde de ce moment précis, c’est celui de ma vie intérieure. Ce qui dominait pendant ces jours où j’étais en agonie, c’est la présence de Dieu. Je ne savais pas qui était Dieu et si je croyais en lui. L’important était de vivre de lui, de le laisser être Dieu en moi. Le nom de Dieu se répétait en moi comme mon propre souffle, alors même que j’étais un râle permanent. Mon mari me répétait les mots du Christ à la veille de sa mort : « Abba, père. » À travers eux, je retrouvais ce vers quoi nous tendons tous : un Père qui nous donne la vie, qui est tout amour et qui, nous prenant dans ses bras comme un petit enfant, dissipe nos peurs. J’étais dans les bras de Dieu. Je m’enfonçais dans le Nom du Père. Plus la nuit m’habitait, plus je me perdais en lui. Cela se faisait en moi et ma façon d’y collaborer, c’était de l’accueillir.
Dans cet état de grande dépendance, j’ai pris plus pleinement conscience à quel point je devais tout aux autres.
Puis, malgré le pronostic fatal prononcé par les médecins, je suis « revenue à la vie ». Cette expérience a été un tournant radical dans ma vie. À travers elle, j’ai découvert l’essentiel. Quand on est très malade, qu’on n’a plus aucune force, on n’a plus la volonté de « posséder » sa vie. La seule chose qui reste, c’est d’accueillir ce qui est là. C’est dans ces moments-là, où l’on est dépouillé de soi-même, que l’on se rend compte que la vie est un don et qu’il n’y a rien d’autre à faire que d’accueillir le don. La souffrance extrême, l’approche de la mort nous aident à jeter par-dessus bord tout ce qui nous encombre. De plus, dans cet état de grande dépendance, j’ai pris plus pleinement conscience à quel point je devais tout aux autres. Depuis, j’ai rechuté et vécu la rémission avec ses incertitudes. Mon mari m’a dit un jour : « Que ferai-je si tu meurs ? » Cela a été pour moi la plus belle des déclarations d’amour.