Je m’appelle Éric et je voulais vous parler de ce qui s’est passé dans ma vie qui a été assez inattendu et assez brutal. J’ai été abandonné par mon père, je devais avoir à peine 10 ans : du jour au lendemain on n’a plus eu aucune nouvelle de papa, plus de son, plus d’image comme on dit, comme s’il n’avait pas existé. Alors, cette période qui s’ouvre de l’abandon, au début, c’était, je me souviens, le réclamer : je le réclamais beaucoup. J’étais petit.
Et puis, petit à petit, je me suis rendu compte que ça gênait, que, la meilleure chose à faire, finalement, c’était d’enfouir ça dans nos mémoires, de l’oublier, même face à un vide sur lequel on avait beaucoup de questions et aucune réponse, mais que, finalement, il fallait enterrer tout ça et, petit à petit, se reconstruire là-dessus. C’est ce que les uns, les autres, mon frère, ma sœur, maman l’a fait. Et donc, petit à petit, on oublie.
Et, vient le jour où, parlant de ça à un prêtre, il me dit : « Pries-tu pour ton papa ? » Et j’ai trouvé cette question curieuse parce que, pour moi, justement, tout ça était oublié. Et, en même temps, je me suis dit : « c’est une bonne question ». Parce que je lui ai répondu : « Ben non. » Et il m’a répondu, ce prêtre m’a dit : « Eh bien, tu devrais. » Et je me suis mis à prier pour papa : s’il était mort, je pouvais prier pour son âme, il était au Ciel. Et, s’il était encore vivant, évidemment, pour lui, pour sa vie, qu’il aille bien, qu’il soit en bonne santé.
Et donc, quelques mois après, j’ai un coup de téléphone de mon frère, qui m’annonce comme ça : « On vient de retrouver papa. » Alors, je ne vais pas raconter tout le détail, mais c’était…une histoire assez invraisemblable. On l’avait retrouvé. Il était en mauvaise santé. Et donc, on le retrouve, 33 ans après !
Alors, évidemment, j’ai vu un lien avec la prière que j’avais démarrée quelques mois plus tôt, pas cette injonction mais cette invitation de ce prêtre. Et puis après, ça a été, évidemment, toute la séquence des retrouvailles, parce que je n’attendais qu’une chose, malgré tout ce qui s’était passé : c’était de le revoir et de le serrer dans mes bras. Mais il était dans un tel état que vraiment, rapidement, ce qui m’a semblé le plus important, c’est de l’accompagner et si possible, toujours cette prière dans le cœur, qu’il puisse se redresser et avoir une fin de vie la plus heureuse possible, malgré son état de santé : il avait une forme de maladie de Parkinson, donc c’était un peu compliqué.
Et je m’aperçois, dans les premiers échanges que l’on a, je m’aperçois en fait qu’il avait déjà prévu des dispositions pour ses funérailles. Et, dans ses funérailles, il y avait prévu une incinération…pourquoi pas…ça se fait mais, en même temps, j’étais un peu interloqué : de ce que je connaissais de mon papa, j’étais étonné. Et donc, je lui pose la question. Je lui dis : « Mais tu as prévu d’être incinéré ? Pourquoi ? » Et sa réponse m’a glacé. Il me répond : « Parce que je ne veux laisser aucune trace de moi sur cette terre. »
A partir de là, on a parlé de foi, de Dieu, si ça comptait pour lui. Il m’a répondu oui. Et donc petit à petit, avec un aumônier qui était là, dans cet hôpital, on l’a aidé, en fait, à cheminer petit à petit. Il a d’abord retrouvé le pardon : l’aumônier m’a raconté que, revenant de la confession, il avait changé de visage. Et, le pardon qu’il avait reçu de Dieu, avait « illuminé », pour reprendre son terme, son visage. Petit à petit, j’ai vu papa se redresser. Et ce redressement spirituel auquel j’ai assisté, a été accompagné aussi d’un redressement physique. Et un jour où il était dans sa chambre, il était courbé en deux parce que la maladie le courbait vraiment en deux, en angle droit, je le vois prendre les montants de son lit, se redresser et me dire : « Je sens de l’amour qui monte en moi. »
Après, le plus compliqué, une fois que tout ça a été fait, c’est déjà un chemin, alors je le fais court, mais qui était assez prodigieux, ça a été aussi après l’annoncer à maman. Et maman a reçu très bien la nouvelle. D’ailleurs sa première question, quand je lui ai annoncé « on a retrouvé papa », elle m’a dit : « Mais, est-ce qu’il va bien ? Quel est son état de santé ? » Alors qu’elle aurait pu, évidemment, sortir tant de choses pour 33 ans de vie brisée, de vie abandonnée.
Et, petit à petit, maman aussi a fait son chemin intérieur : là aussi, on a prié pour elle. Et elle était prête, un jour, à le revoir. Je l’ai emmenée. Elle s’était faite toute belle, comme si elle allait à un bal. Elle avait préparé des gâteaux, des fleurs : comme si elle allait retrouver son amoureux. C’était tellement attendrissant… Et j’ai assisté, j’étais seul dans cette chambre d’hôpital, le moment où papa et maman se sont revus, 33 ans après. Il y a eu un grand moment de silence qui, à chaque fois que j’y repense, me procure beaucoup, beaucoup d’émotion. Et en fait, ils se sont regardés. Et je peux témoigner, et je peux regretter qu’on ne soit pas des milliards à voir ça, parce que, ce qu’il y avait dans leurs yeux, c’était de l’amour.
Et ça aussi, c’était un cadeau immense que nous a donné Dieu. Tout ça c’est, je pense, la fécondité de la prière, mais aussi de ce cadeau que donne Dieu, qui est le pardon universel, et qui montre que, quoi qu’il arrive dans nos vies, il n’y a pas de fatalité, rien n’est jamais fini : tout peut se redresser. Tout ce qui est moche peut devenir beau. J’en ai été le témoin.