Rencontre. Mi-décembre à Paris, Forest Whitaker a présidé l’avant-première du film Forgiven à l’Unesco en présence de 1 200 personnes. Il nous parle du rôle qu’il incarne dans ce film : celui de Desmond Tutu, Prix Nobel de la paix 1984.
Propos recueillis par Cyril Lepeigneux
À l’écran, Forest Whitaker a endossé sans peine le personnage de l’archevêque anglican qui a fait partie de la commission Vérité et réconciliation. Un rôle le confrontant à la violence, au racisme et au pardon du temps de l’apartheid en Afrique du Sud. Un cadre qui ne fut pas sans lui rappeler ce qui se vit parfois dans son pays, l’Amérique, et dans les zones de confits où il intervient comme envoyé spécial de l’UNESCO pour la paix et la réconciliation.
Pas de Charlie Parker ou de dernier roi d’Écosse cette fois mais le rôle de Desmond Tutu, l’archevêque anglican d’Afrique du Sud, prix Nobel de la paix en 1984 pour son travail pour l’unité dans son pays ravagé par l’apartheid. Pourquoi avez-vous accepté ce rôle ?
Je l’ai perçu comme un moyen de continuer à grandir en tant qu’artiste et à explorer de nouveaux territoires. Je pensais aussi que c’était une excellente occasion de parler de pardon et de guérison. Vous savez, j’ai une grande admiration pour Desmond Tutu, pour ce qu’il a fait dans sa vie, les causes qu’il a défendues et ce qu’il représente encore aujourd’hui. Cette grande admiration fut aussi une source de crainte pour jouer ce rôle !
Vous dites qu’il est difficile de jouer le personnage d’un homme encore en vie que l’on apprécie. L’avez-vous rencontré ? Aime-t-il rire autant que dans le film ?
Oui, je l’ai rencontré à plusieurs reprises. Notamment dans le cadre du travail de défense de la paix que je mène à travers mon organisation, la Whitaker Peace & Development Initiative. À propos de son humour, je dois avouer que son rire est très contagieux et il considère que les choses sont plutôt drôles quand on les regarde dans leur complexité.
Selon vous, quelle place la foi chrétienne du héros a-t-elle jouée dans son action ?
Je pense que la notion de pardon est inhérente à la religion chrétienne. Desmond Tutu est un archevêque, mais c’est aussi un homme d’une grande spiritualité. Il communie tous les matins, chaque jour de sa vie. Il n’est pas si courant de réaffirmer sa foi comme cela, tous les jours. Je pense que cela l’aide à se débarrasser de beaucoup d’instincts.
Ce film, avec son contexte de violence physique et psychologique, son injustice, vous a-t-il blessé ?
Certaines parties étaient très difficiles comme les atrocités commises durant l’apartheid. Ensuite, pour incarner le rôle, il faut essayer de comprendre cette réalité à un niveau personnel, le relier à ce que vous connaissez – à ce que, dans mon cas, j’ai vu dans mon propre pays. Les humiliations, les douleurs, provoquent une rupture à l’intérieur de vous. Cela fait énormément souffrir.
L’histoire de l’apartheid en Afrique du Sud a-t-elle provoqué de la colère en vous ? Qu’en avez-vous fait ?
J’ai ressenti de la tristesse devant cette capacité des êtres humains à se faire du mal. Et je suis en colère quand des personnes sont maltraitées, humiliées ou blessées. Cela me fâche plus que toute autre chose. À regarder ce qui s’est passé durant cette période, les atrocités qui se sont produites, j’ai été amené à regarder d’autres régions du monde où ce genre de choses se passent encore et cela m’a confirmé l’importance du travail de notre organisation. Une bonne partie de notre travail consiste à se réunir avec d’autres personnes, à les comprendre, à trouver un terrain d’entente avec elles et à parvenir, espérons-le, à réaliser que le pardon est nécessaire des deux côtés en période de souffrance et d’atrocités.
Votre perception du pardon a-t-elle évolué ?
Sans doute, dans la mesure où il faut reconnaître que, si vous êtes incapable de pardonner, vous maintenez en votre sein la colère et la douleur qu’on vous a causées. Et pourtant, je ne peux pas dire que cela m’a permis de pardonner tout ce qui m’a été fait.
Votre réaction au racisme a-t-elle changé ?
Je ne le pense pas. J’avais déjà une opinion très claire sur le sujet. Si en Amérique nous sommes un pays neuf, le racisme y existe toujours. Certains individus y fauchent des groupes de gens avec des camions, d’autres défendent le séparatisme, le tribalisme… J’en étais déjà conscient, ainsi de l’impact négatif que cela a sur d’autres régions du monde.
Votre vision de l’homme (qui peut se comporter, comme nous le voyons dans le film, plus sauvagement qu’un animal) s’est-elle modifiée ?
Je pense qu’au fond des gens, il y a un instinct de survie qui peut avoir des effets dévastateurs. L’homme, selon les circonstances où il a été élevé, la manière dont il a été éduqué ou les expériences qu’il a vécues, est capable de commettre les plus grandes atrocités imaginables. Les animaux, eux, n’ont pas la capacité de brûler des bâtiments ou des individus, de pendre ou de torturer. Alors nous devons nous battre contre cette capacité à nous nuire. Nous devons nous lever pour le pardon et l’amour.
Que pensez-vous de la spiritualité ou de Dieu ?
Je pense que nous sommes tous connectés à Dieu. Je pense qu’il est présent dans tout ce que nous voyons, faisons et sommes.
Quelle est, pour vous, la base de la solidarité ?
Le besoin d’être relié à Dieu, le besoin d’être connecté. Je pense que nous ne pouvons jamais regarder notre propre humanité, comme le disait Desmond Tutu, sans son lien avec quelqu’un d’autre. Nous nous définissons et définissons notre humanité en fonction de notre comportement et de notre attitude envers les autres. C’est ce qui définit notre humanité. Je le répète : notre solidarité fait partie de la définition de notre humanité, qui se connecte à toutes choses, et quand elle se connecte à toutes choses, elle devient une connexion à Dieu.
S’il n’y avait qu’une chose à retenir de ce film, quelle serait-elle ?
Qu’il n’est pas faible de pardonner. Nat King Cole en a parlé : « La plus grande chose que vous apprendrez jamais est d’aimer et d’être aimé en retour. » Je pense qu’une fois que nous avons pardonné, nous pouvons entrer dans le dernier chapitre, c’est-à-dire l’amour.