Thibault de Montaigu : “Dieu commence là où s’arrêtent les mots”

FLEUR DE LUMIÈRE
Né en 1978, Thibault de Montaigu est écrivain, journaliste et éditeur chez Robert Laffont, où il lance une collection intitulée « Confessions », pour inviter les écrivains contemporains qu’il admire à écrire le moment où leur vie a basculé. Dans son dernier livre, La Grâce, il raconte sa propre conversion et celle de son oncle, Christian, entré dans l’ordre franciscain à l’âge de 37 ans.

PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE MEYER

Si je comprends bien, vous étiez parfaitement athée jusqu’il y a quatre ou cinq ans ? Oui, tout à fait. J’étais très remonté contre toutes les formes de monothéismes, que je tenais pour responsables d’atrocités à travers l’histoire. Je n’étais pas agnostique, mais vraiment athée : pour moi Dieu n’existait pas, c’était une invention des hommes.

Pas la moindre culture religieuse ? Quand j’étais enfant, je suis allé quelques rares fois à la messe avec mon grand-père en Anjou. Je trouvais cela complètement assommant ! Mes parents m’ont poussé à faire ma première communion par pure convenance sociale.

Vous regrettez que vos parents ne vous aient pas parlé de la foi ? Non, je ne regrette pas dans le sens où eux-mêmes ne l’avaient pas. S’ils avaient été croyants et ne m’avaient rien transmis alors oui, sans doute, ils n’auraient pas assumé leur rôle de témoins.

Cela vous a donné la chance unique de connaître une conversion spectaculaire… Voilà ! (Rires.) Finalement, le christianisme de conversion enracine une foi beaucoup plus forte que le christianisme culturel.

Une révélation, pendant un office religieux, que vous racontez magnifiquement mais très succinctement dans votre ouvrage… Cette scène est le « morceau de bravoure » du livre. Ce fut extrêmement difficile à écrire : les mots me paraissaient toujours en deçà de ce que j’avais vécu. Au cours de l’écriture, il y a eu plusieurs moments, dont celui-ci, où j’aurais aimé être musicien, pour mieux les exprimer. Il y a une proximité plus grande de la musique avec le divin parce qu’elle ne passe pas par le tamis de la raison. Pour ma part, j’ai ramené cela à l’essentiel, en espérant avoir pu exprimer un tout petit peu l’ampleur de cet instant qui restera indicible.

« Chacun doit témoigner du Christ à sa façon »

« Les mots des convertis semblent toujours trop courts à raconter l’éternité de cet instant-là », dites-vous en parlant de Pascal, Foucauld, Verlaine, Péguy, Weil… C’est incroyable d’imaginer que Pascal, cet auteur immense, a raconté sa « Nuit de feu » en quelques lignes. Claudel et son pilier de Notre-Dame, ce n’est presque rien ! Dieu commence là où s’arrêtent les mots. C’est la dernière étape où peut aller la raison, puis on bascule dans ce qui est au-delà de l’homme et nous laisse sidéré.

Avez-vous eu des scrupules à raconter la vie intime de votre oncle défunt ? J’ai essayé de le décrire avec amour et bienveillance. Si j’ai raconté des choses dures ou intimes, c’est précisément parce que je pense que cela pouvait toucher ceux qui ont vécu des expériences similaires et qui cherchent des motifs d’espérance. Je me suis dit – et je peux me tromper – que l’écho universel que sa vie peut avoir est plus important que son caractère privé. Son parcours est celui d’un grand nombre de saints. Il n’y a pas d’un côté les êtres d’exception qui ont une nature presque séraphique et de l’autre les pauvres hères embourbés dans leur péché. Raconter une vie parfaite n’aurait parlé à personne, car on se sentirait incapable de la suivre. Raconter les failles, les doutes et les questionnements que tout un chacun traverse dans son existence, c’est lui tendre la main et lui dire que nous sommes tous appelés à la sainteté.

N’y a-t-il pas un passage de relais entre cet oncle et vous ? La grâce de cette rencontre, par-delà le tombeau, m’a donné de le connaître mieux que je ne l’aurais connu s’il était encore en vie. Chacun doit témoigner du Christ à sa façon, selon ses talents. Lui a eu la sienne, dévouée, sublime, et moi, la mienne, avec mes mots.

On est en pleine communion des saints : la mort n’interrompt pas la communication qui se lie entre ceux qui s’en vont et ceux qui restent. Oui c’est vrai. Un prêtre à qui je racontais ma conversion si brutale m’a répondu : « Il y a des gens qui ont dû beaucoup prier pour vous. » Ça m’a frappé. Je me suis dit que Christian avait dû prier pour moi au cours de son existence et cette prière a fini par porter ses fruits.

« Une fois touché par la grâce, j’ai découvert le continent immense qu’est le christianisme, sa peinture, sa musique, sa richesse »

Votre vie est-elle le reflet de cette renaissance ? La sortie du livre, les sollicitations, les adaptations pour le théâtre et le cinéma, une traduction, les voyages m’ont éloigné de la solitude et de la contemplation. C’est une grâce à laquelle je ne m’attendais pas et j’accepte tout, j’y vais comme un serviteur du texte. Cela n’a pas abîmé ma foi profonde, mais je sais que je dois y faire attention, ménager du temps pour sortir du tourbillon. Bientôt je partirai à l’abbaye de Lagrasse avec quinze écrivains pour une longue retraite et j’en suis ravi.

Une fois que vous avez écrit que « la foi vous oblige » en citant Julien Green, vous êtes un peu coincé… C’est vrai, mais je fais comme je peux : je viens de loin donc j’ai des excuses !

À l’attention de ceux qui viennent de loin comme vous, on peut dire que l’Église est indulgente : vous racontez que pour « vingt ans de débauche », un confesseur ne vous a donné qu’un seul Notre Père en pénitence ! C’est amusant, je m’attendais à quelque chose de plus lourd ! Disons que le pauvre prêtre confessait au soleil depuis des heures, épuisé, et je crois qu’il m’a un peu expédié.

La miséricorde de Dieu est infinie, dirons-nous… Oui, mais je n’ai pas fini de confesser tout ça !

Votre livre est un vrai petit manuel du chrétien en chemin : on y trouvera de bonnes adresses de monastères, saint Thomas et saint François d’Assise, une exégèse du fils prodigue, Le Porche du mystère de la deuxième vertu de Charles Péguy… Un pur chef-d’œuvre !

Vous avez posé ces cailloux comme le Petit Poucet pour que le lecteur puisse vous suivre ? Une fois touché par la grâce, j’ai découvert le continent immense qu’est le christianisme, sa peinture, sa musique, sa richesse. J’ai découvert ses textes, y compris les évangiles, avec une forme de naïveté, de fraîcheur, un appétit insatiable. Cet éblouissement a rejailli tout au long du livre.

Saint François, au fond de son cachot, désespéré, est libéré par son père qui paye la rançon. Comme le Père du Ciel nous pardonne nos péchés ? Je l’ai éprouvé de manière très forte avec la confession. Dès lors que l’on est vrai avec soi-même, que l’on parle avec amour et que l’on se laisse traverser comme un vitrail par la lumière de Dieu, que l’on regarde le monde avec les yeux de Dieu, on est immédiatement pardonné – pardon, ce n’est pas très catholique –, mais je l’ai senti. C’est miraculeux. Lorsque l’on se confesse, on se dépouille de tous ses oripeaux, on cesse de se mentir, d’être en dehors de soi-même, de vouloir courir derrière des chimères. On rentre dans sa vérité intérieure et il se produit quelque chose de sublime. Je l’ai vécu physiquement, c’est une purification et un sentiment d’amour très fort.

Cette sortie de soi, est-ce un conseil que vous pourriez donner à nos lecteurs ? Tout à fait. On attend trop de soi-même. C’est en n’attendant plus rien de soi que l’on rencontre Dieu. Le lâcher-prise nous rend tout par surcroît. C’est très présent dans les évangiles et je l’ai expérimenté à ma petite mesure.


 

Son livre

La Grâce
Plon, 2020, 368 pages,
20 €. Prix de Flore 2020.

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