La méditation fait-elle des miracles ?

Dépression, stress, anxiété, troubles du sommeil, de l’alimentation, de la concentration… Si l’on en croit ses aficionados, la méditation aurait réponse à tout ! Gage de bien-être et de sérénité, en quoi consiste-t-elle précisément ? Lili Sans-Gêne interpelle un spécialiste…

LE DÉBAT ENTRE LILI SANS-GÊNE ET LE PÈRE ÉTIENNE GRENET

Père Étienne Grenet est prêtre du diocèse de Paris depuis 2007. Il enseigne la Bible au Collège des Bernardins et dirige le Pôle Mission du diocèse de Paris (www.polemission.fr).

La méditation : tout le monde ne jure plus que par cela, ce serait la panacée, le remède à tout ! C’est surtout une mode si vous voulez mon avis…

Étienne Grenet : Une mode ? Tout dépend de quelle méditation on parle. Oui, il y a un effet de mode si l’on parle des formes de méditation inspirées par les spiritualités orientales et auxquelles s’essaye de plus en plus de monde actuellement. Nous connaissons tous quelqu’un qui s’y est mis et n’arrête pas d’en parler. Mais il y a une majorité de gens qui arrêtent assez vite et ne le disent pas… C’est normal. Quand on n’est plus passionné par un truc, on n’a pas spécialement envie d’en parler. On n’y pense plus.

En revanche, si l’on parle de la méditation pratiquée dans le christianisme depuis 2000 ans, on est au-delà de la mode, au-delà du vintage même !

La première « mode », à vrai dire, c’est ce changement de sens du mot « méditation ». Le fait qu’il soit compris spontanément dans le sens de « méditation orientale », alors que c’est un très vieux mot de la tradition judéo-chrétienne… Voilà une nouveauté ! Ne seriez-vous pas vous-mêmes en train de succomber à cette nouvelle mode ?

Mes amis me disent qu’avec la médiation, plus de stress, plus d’insomnie, plus d’angoisses ni de pensées obsessionnelles. Je suis très sceptique. Vous croyez vraiment que c’est thérapeutique ?

Avec les formes de méditations « orientales » ou disons orientalisantes – je mets des guillemets parce qu’il y a un écart immense entre la méditation ou la vie ultra-ascétique d’un moine zen et celle d’un citadin occidental –, il y a souvent des effets positifs sensibles. C’est parfaitement normal. Lorsque vous introduisez ne serait-ce que 10 minutes de silence réel dans votre quotidien alors que cette « respiration » n’existait pas auparavant, cela provoque nécessairement un certain apaisement, dans un premier temps du moins.

Je constate la même chose avec les personnes qui découvrent la méditation chrétienne. Lorsqu’elles brisent le cercle de l’activisme – qui ne se limite pas au métro-boulot-dodo, mais qui inclut aussi la course aux loisirs et aux distractions –, les premiers effets se font vite sentir et suscitent un grand enthousiasme. Toute la question est : que se passe-t-il dans la durée ?

Il paraît que la méditation provoque une guérison intérieure, un lâcher-prise, et forme comme une bulle protectrice, un pare-feu.

La remarque est excellente : il y a une ambivalence. Il y a un certain lâcher-prise par rapport à l’activisme, c’est certain. Pourtant, en réalité, pour la plupart des gens, la méditation pleine conscience va consister à maîtriser des techniques. Nous sommes dans la maîtrise.

Cela peut permettre, sans doute positivement, de se muscler le « mental », d’être progressivement moins perméable à certaines « agressions » de notre environnement : les remarques méprisantes de mon boss, les pensées négatives que me renvoie ma situation familiale, etc. C’est le premier effet « bouclier » dont vous parlez.

Mais il y a un effet bouclier, plus profond, et qui peut devenir très ennuyeux celui-là. Si vous vous habituez à atteindre certains « états mentaux » par votre maîtrise technique, vous êtes aux antipodes de la démarche chrétienne. Les états avancés de la prière chrétienne, au-delà du stade proprement dit de la meditatio (« méditation » en latin), et que l’on appelle «états contemplatifs », sont des états qui ne relèvent d’aucune technique. Sainte Thérèse d’Avila le dit très clairement : ce qui caractérise la contemplatio (« contemplation »), c’est qu’elle n’est pas le fruit de nos efforts. C’est quelque chose que je ne peux pas me donner à moi-même. Un maître spirituel contemporain, fin connaisseur – et admirateur – des spiritualités orientales, le constatait d’expérience : « Pour les personnes qui ont pratiqué longtemps les techniques de méditation orientale, il est souvent très difficile d’entrer sur la voie contemplative. Car cela réclame une attitude de passivité radicale ; or elles se sont habituées à une efficacité technique. »

De quelle technique parlons-nous ? D’une forme de prière ? D’un demi-sommeil ?

Il y a plusieurs écoles de méditation orientales, tout comme dans la tradition chrétienne. Plusieurs manières de faire donc. Concernant les médiations de type « pleine conscience », la démarche fondamentale, me semble-t-il, consiste à se centrer sur ce qui se passe en soi, mentalement et corporellement, et être présent à cela, simplement, sans jugement, sans pensées secondes… Cela peut donc produire un certain recueillement actif, évoqué souvent comme un « éveil » plutôt que comme un « sommeil » ! Bien que la méditation chrétienne comporte également une dimension cruciale de simplification, son levier principal est très différent : l’attention va se porter essentiellement sur un autre que soi. Une personne vivante : Jésus.

Comment cela fonctionne-t-il ? On retient sa respiration ? On pense à une plage ensoleillée, aux vagues qui caressent le sable ?

Si la méditation pleine conscience consistait à retenir sa respiration… il n’y aurait sans doute plus grand monde pour en parler ! Plus sérieusement, c’est vrai que les techniques respiratoires tiennent une place importante dans ces méthodes méditatives. Respirer profondément d’abord, puis le plus naturellement possible, et centrer son attention sur ce flux en toute sa résonance corporelle… C’est l’un des grands exercices. Je parle d’exercice, car ces formes de méditation sont très « techniques » en réalité, en tout cas dans leur version occidentalisée. Et cela contribue grandement à leur pouvoir d’attraction. Pour nous qui sommes formatés à l’utilitarisme et à la performance, c’est très attirant de se voir proposer une palette de techniques efficaces pour « acquérir » un bien-être psychologique.

Jésus Christ a-t-il médité ?

La première prière du grand recueil de prière juif, le Psautier biblique, dit ceci : « Heureux l’homme qui se plaît dans l’instruction du Seigneur et la murmure jour et nuit » (Ps 1). Ce mot « murmurer » est sans doute le plus emblématique pour évoquer la prière dans la tradition judéo-chrétienne. Les Pères de l’Église parleront, dans le même esprit, de « rumination »: on prend une parole de Dieu, et on la mâchouille, on la garde dans la bouche, on la répète, au rythme de la respiration… Et peu à peu, elle s’intériorise, elle descend dans le cœur, et même plus bas. Si bien qu’on en arrive à dire quelques psaumes plus tard : « Ta Parole (ta Loi) me tient aux entrailles » !

Tout ceci suppose un acte préalable, qui est le commencement de tout : « Écoute ! » Oui, Jésus méditait au sens où il cherchait à écouter le Père, à garder sa Parole, et à lui répondre – non seulement dans la prière, mais aussi en acte ! La méditation chrétienne est fondamentalement une respiration : accueillir et entendre le Souffle du Père qui me révèle « Tu es mon enfant bien-aimé » ; et laisser l’Esprit Saint faire jaillir sur nos lèvres une réponse : « Abba ! Papa ! ».


 

Aller plus loin

Le Christ vert. Itinéraires pour une conversion écologique intégrale

Etienne Grenet, Artège Le Sénevé, 2021, 336 pages, 18,90 €. https://lechristvert.fr

10 vidéos d’initiation à la méditation silencieuse.

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