A quoi servent les moines ?

La présence silencieuse de moines et moniales en plein XXIe siècle interroge en même temps qu’elle fascine. Pour donner un sens à ce monde si singulier, il faut tenter de comprendre ce désir d’absolu qui peut amener à tout abandonner pour « chercher Dieu » …

LE DÉBAT ENTRE LILI SANS-GÊNE ET HUBERT BIENVENU

Journaliste et essayiste, Hubert Bienvenu a lui-même connu la vie monastique de l’intérieur, ce qui l’a amené à publier un ouvrage de synthèse accessible à tous, pour mieux approcher le mystère de cette vie si particulière.

Voir des jeunes s’enfermer pour la vie alors que tout le monde a besoin d’eux est incompréhensible, vous ne pensez pas ?

Vu de l’extérieur, c’est en effet incompréhensible. Mais cela parce que la culture et la pratique religieuses sont aujourd’hui majoritairement absentes de notre société et que la vocation monastique n’a de sens qu’au cœur du mystère chrétien. Il faut donc accepter d’entrer dans cette perspective de foi. Les jeunes qui entrent dans la vie monastique disent tous qu’ils se sont sentis appelés à quelque chose qui les dépassait. Ce ne sont pas eux qui ont décidé en premier : ils ont simplement répondu, à un moment donné de leur histoire personnelle : « Me voici, Seigneur. » C’est donc au Seigneur lui-même qu’il faut demander pourquoi il appelle à une telle vocation !

Eh bien, oui, demandons-lui, parce que moi, je ne vois rien de tout cela dans l’Évangile ni dans la vie du Christ.

Pourtant, tout est enraciné dans l’Évangile, absolument tout. Et pour commencer, cette rencontre avec le jeune homme riche, à qui le Christ dit : « Si tu veux être parfait, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor aux cieux, puis viens et suis-moi. » C’est cette parole qui résonnera tout au long des siècles pour attirer des vocations monastiques.

Cela ne me dit toujours pas pourquoi il faudrait renoncer à toute vie normale…

Là encore, la réponse est dans l’Évangile, quelques lignes plus loin : « Quiconque aura quitté maison, frères, sœurs, père, mère, enfants ou champs à cause de mon Nom, recevra le centuple et aura en partage la vie éternelle. » L’enseignement du Christ regorge d’images et de paraboles pour nous dire qu’il est venu nous apporter un message libérateur, un message de salut, et que pour ceux qui recevront ce message en plein cœur, il sera la perle précieuse, le trésor trouvé dans un champ, le bonheur suprême pour lequel on abandonne tout le reste, comme les apôtres qui ont quitté sur-le-champ bateaux, filets et familles pour suivre le Christ.

Mais tous ceux qui ont été frappés par cette grâce ne s’enferment pas à vie : ils sont prêtres en paroisse, soignants, laïcs agissant pour une société meilleure, pères et mères de famille, et l’Église en fait même parfois des saints !

Vous avez parfaitement raison, il y a autant de vocations que de personnes ! Tous sont appelés à la perfection dans une totale diversité. Mais permettez-moi de revenir en quelques mots à la grande histoire monastique. Car depuis les premiers siècles du christianisme, un mouvement spontané s’est créé, en Orient comme en Occident : des hommes et des femmes ont voulu imiter plus fidèlement le Christ dans sa consécration complète à Dieu, la séparation de sa famille pour être aux affaires de son Père, sa vie au désert, son oraison de tous les instants. C’est ainsi qu’a commencé la saga monastique. Elle se poursuit jusqu’à nos jours à la suite des grands fondateurs que furent saint Antoine du Désert en Égypte, saint Martin, saint Augustin ou saint Bernard en Occident, mais surtout saint Benoît, dont la Règle des moines, célèbre pour son équilibre et sa modération, allait inspirer jusqu’à aujourd’hui la vie de millions de moines et moniales, et – par sa sagesse – des familles ou des entreprises.

Je ne comprends toujours pas pourquoi il faut s’isoler, se couper des autres. C’est négatif. Est-ce bien chrétien ?

Voyez le bruit et les dispersions de la vie moderne : ils emplissent tout, jusqu’à l’omniprésence du smartphone ! On peut donc comprendre que, pour les personnes qui sont attirées par la recherche de Dieu, la solitude, l’isolement et le silence s’imposent. C’est une requête si nécessaire à la nature humaine qu’on la retrouve dans toutes les religions, et Marthe Robin disait : « Le silence ne donne pas Dieu, mais Dieu se donne dans le silence. » Dans un monastère, tout est organisé pour converger directement vers Dieu : la prière, le travail et même le repos. Mais attention : moines et moniales ne sont en rien dispensés de la charité fraternelle, elle s’exerce d’abord entre eux. Ne pas s’être choisis et vivre ensemble, longtemps, c’est une aventure qui n’est possible que dans le cadre plus vaste d’un combat spirituel. Comme disait Gandhi : « Toute âme qui s’élève, élève le monde. » Le moine est donc bien au cœur de la vie du monde.

Alors là, je comprends de moins en moins ! Comment peut-on se couper du monde et en même temps agir sur la vie du monde ?

C’est bien la question par excellence que l’on doit se poser si l’on veut comprendre la vie monastique ! Cette vie, que l’on pourrait croire inutile, aurait-elle une utilité et une fécondité invisibles mais réelles ? Eh bien oui ! Il y a dans la foi catholique une réalité sans doute mésestimée : la communion des saints. Le rôle des moines et des moniales, c’est de prier pour ceux qui ne prient pas, de prier Jésus pour que le monde soit sauvé. L’Église a besoin des contemplatifs pour aimer ceux que l’action ne peut plus toucher. Et l’invisible histoire qui se tisse ainsi est plus importante que tous les événements de l’Histoire visible.

Mais pourquoi s’imposent-ils tant d’austérités : pauvreté, chasteté, obéissance, mortifications ? Comment peuvent-ils vivre ainsi et se dire heureux ?

Parce qu’ils sont dans le registre de l’amour et du don. Autrement, cela n’aurait aucun sens. Ils vous diront que toutes ces contraintes qu’ils s’imposent sont des libérations intérieures et que leurs trois vœux de pauvreté, chasteté, obéissance sont l’exact opposé des trois addictions qui mènent le monde à sa perte : l’argent, le sexe, le pouvoir. Eux s’en sont libérés et disent que, ce qu’ils perdent d’un côté, ils le retrouvent de façon surabondante sous d’autres formes.

J’aimerais voir ces moines et ces moniales et discuter avec eux pour les comprendre, mais ils sont inaccessibles…

Bien au contraire ! Les monastères ont toujours une hôtellerie où sont accueillis tous ceux qui le veulent. Et ils viennent : jeunes ou vieux, riches ou pauvres, malades ou bien-portants, croyants ou non, ils viennent avec leurs questions, leurs souffrances, leurs espoirs, et rares sont ceux qui repartent sans avoir reçu des réponses. Finalement, les monastères sont comme des zones de verdure près des grandes villes : on vient y déposer ses soucis et y refaire ses forces. Une imprégnation de quelque chose qui parle du ciel et qui est porteur de joie et d’espérance.


 

Aller plus loin

Moine ou moniale : qui es-tu ? À quoi sers-tu ? Défense et illustration de la vie monastique
Hubert Bienvenu, préface de Dom Philippe Dupont, abbé de Solesmes, France-Empire, 2021, 176 pages, 15 €.
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